Charles de Gaulle (Prononciation du titre dans sa version originale Écouter), communément appelé le général de Gaulle, né le 22 novembre 1890 à Lille et mort le 9 novembre 1970 à Colombey-les-Deux-Églises, est un militaire, résistant, homme d'État et écrivain français.
Chef de la France libre puis dirigeant du Comité français de Libération nationale pendant la Seconde Guerre mondiale, président du Gouvernement provisoire de la République française de 1944 à 1946, président du Conseil des ministres français de 1958 à 1959, instigateur de la Ve République fondée en 1958, il est président de la République française du 8 janvier 1959 au 28 avril 1969. Il est le premier à occuper la magistrature suprême sous la Cinquième République.
Élevé dans une culture de grandeur nationale, Charles de Gaulle choisit la carrière d'officier. Il est fait prisonnier lors de la Première Guerre mondiale. Il sert et publie dans l'entourage de Philippe Pétain, prônant auprès de personnalités politiques l'usage des divisions de blindés dans la guerre contemporaine. En mai 1940, colonel, il est placé à la tête d'une division blindée et mène plusieurs contre-attaques pendant la bataille de France ; il est promu général de brigade à titre temporaire le 25 mai 1940. Il est nommé sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale dans le gouvernement Reynaud, pendant l'exode de 1940.
Il rejette l'armistice demandé par Pétain à l'Allemagne nazie. De Londres, il lance, à la BBC, l'appel du 18 Juin au peuple français pour résister et rejoindre les Forces françaises libres. Condamné à mort et déclaré déchu de la nationalité française par le régime de Vichy, il veut incarner la légitimité de la France et être reconnu en tant que puissance par les Alliés. Ne contrôlant que quelques colonies mais reconnu par la Résistance, il fusionne, en 1943, la France libre au sein du Comité français de Libération nationale, dont il finit par prendre la direction. Il dirige le pays à la Libération. Favorable à un exécutif fort, il s'oppose aux projets parlementaires des partis et démissionne en 1946. Il fonde le Rassemblement du peuple français (RPF), mais son refus de tout compromis avec le « régime des partis » l'isole dans une « traversée du désert » à l'écart de toute responsabilité.
De Gaulle revient au pouvoir lors de la crise du 13 mai 1958, pendant la guerre d'Algérie. Investi président du Conseil, il fait approuver la Ve République par un référendum. Élu président de la République, il veut une « politique de grandeur » de la France. Il affermit les institutions, la monnaie (nouveau franc) et donne un rôle de troisième voie économique à un État planificateur et modernisateur de l'industrie. Il renonce par étapes à l'Algérie française, malgré l'opposition des pieds-noirs et des militaires, qui avaient favorisé son retour. Il décolonise aussi l'Afrique noire, en y maintenant l'influence française. De Gaulle prône l'« indépendance nationale » en rupture avec le fédéralisme européen et le partage de Yalta : il préconise donc une « Europe des nations » impliquant la réconciliation franco-allemande et qui irait « de l'Atlantique à l'Oural », réalise la force de dissuasion nucléaire française, retire la France du commandement militaire de l'OTAN, oppose un veto à l'entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne, soutient le « Québec libre », condamne la guerre du Viêt Nam et reconnaît la Chine communiste.
Sa vision du pouvoir, c'est-à-dire un chef directement approuvé par la Nation, l'oppose aux partis communiste, socialiste et centristes pro-européens. Ils critiquent un style de gouvernance trop personnel, voire un « coup d'État permanent », selon la formule de François Mitterrand contre lequel de Gaulle est réélu en 1965 au suffrage universel direct. Il surmonte la crise de mai 68 après avoir semblé se retirer, convoquant des élections législatives qui envoient une écrasante majorité gaulliste à l'Assemblée nationale. Mais en 1969 il engage son mandat sur un référendum (sur la réforme du Sénat et la régionalisation) et démissionne après la victoire du « non ». Il se retire dans sa propriété de Colombey-les-Deux-Églises, où il meurt dix-huit mois plus tard.
Charles de Gaulle, considéré comme l'un des dirigeants français les plus influents de son siècle, est aussi un écrivain de renom. Il a notamment laissé des Mémoires de guerre, où il affirme s'être toujours « fait une certaine idée de la France », jugeant que « la France ne peut être la France sans la grandeur ».iographie
Origines familiales
Article détaillé : Famille de Gaulle.
Charles de Gaulle est le fils d'Henri de Gaulle (1848-1932) et de son épouse Jeanne Maillot (1860-1940). Il est le petit-fils de Julien-Philippe de Gaulle, historien, et d'un entrepreneur manufacturier du Nord. Il est marqué par les valeurs familiales : catholicisme légitimiste, goût des études et du service de l'État (droit, administration des tabacs ou de l'armée).
Les de Gaulle étaient une famille de juristes parisiens originaires de la province de Champagne. Dans ses travaux de généalogie, le grand-père de Charles de Gaulle faisait l'hypothèse d'une lointaine ascendance noble1, bien que la famille ne figure dans aucun nobiliaire2 et qu'il n'existe aucune preuve à l'appui de ces prétentions3. L’arrière-grand-père, Jean-Baptiste de Gaulle (1759-1832), est avocat ; fils d'un procureur au parlement de ParisN 2 né en Champagne4, il échappe de peu à la guillotine devant le Tribunal révolutionnaire pendant la Terreur5 et devient directeur des Postes Militaires de la Grande Armée. Il meurt du choléra en 1832. Son fils, Julien-Philippe enseigne alors à Lille, où un de ses oncles a un poste à la manufacture des tabacs. Julien de Gaulle y épouse la fille d'un administrateur de la manufacture, Joséphine Maillot. Le pensionnat qu'ils créent à Valenciennes fait faillite. Ils s'installent à Paris pour écrire. Lui rédige deux études (sur un peintre paysagiste et sur une biographie de Saint Louis). Sa vaste Histoire de Paris et de ses environs d'inspiration monarchiste et catholique est préfacée par Charles Nodier. Elle, prolifique, collabore à des revues littéraires et écrit plus de 70 ouvrages bien pensants dont certains dénoncent la pauvreté ouvrière du Nord.
Ils ont trois fils. Les deux oncles du général sont des chercheurs érudits : l'aîné, Charles, son homonyme, paralysé par la polio, étudie les langues celtes et le cadet, Jules, l'entomologie. Henri, père du général, naît en 1848, un 22 novembre comme son fils. Formé par le jésuite Olivaint, il se lie aux milieux monarchistes et catholiques sociaux, et entre au secrétariat de Talhouët-Roy dont il est précepteur des enfants. Admissible à Polytechnique, il s'engage et est blessé en 1870. Il s'inscrit au barreau et dans un cercle jésuite influent. Mais, pour entretenir la famille, il renonce à une carrière militaire ou politique et entre dans l'administration du ministère de l'Intérieur jusqu'en 1884 (démission peut-être liée à la laïcisation). Il a ensuite trois doctorats (lettres, sciences, et droit) et enseigne lettres, histoire et les mathématiques au collège de l'Immaculée-Conception de Paris, tenu par les jésuites. À trente-sept ans, il épouse Jeanne Maillot, une petite-cousine de sa mère.
Sa maison natale à Lille.
Charles de Gaulle est ainsi doublement issu de la famille Maillot par sa mère et sa grand-mère paternelle. Originaires de la Flandre française, ces industriels catholiques descendent d'administrateurs de la manufacture des tabacs.
Le grand-père maternel de Charles de Gaulle (mort l'année de sa naissance) est un entrepreneur qui a rapporté une nouvelle machine à tisser le tulle d'Angleterre. Il était issu de l'union de deux familles des manufactures du tabac, les Maillot et les Kolb. Louis Philippe Kolb, luthérien du duché de Bade était, avant 1791, sergent major de la garde suisse de Louis XVI. Marié à Maubeuge en 1790 avec une certaine Marie Nicot6, il avait réorganisé des manufactures de tabac, en particulier à Lille. Ses deux fils y réussissent : l'un est urbaniste ; l'autre, industriel sucrier, devient sénateur chrétien social et légitimiste (Charles Kolb-Bernard7).
La grand-mère maternelle du futur « homme de Londres », Justine Maillot-Delannoy, reçoit jusqu'à sa mort en 1912 ses enfants et petits-enfants. Elle était la fille d'un avocat et d'une Britannique. Son grand-père maternel, médecin de l'armée des émigrés, descendait par bâtardise8 du noble9 clan irlandais MacCartan (en), dont un membre, jacobite, s'était réfugié en France après la Glorieuse Révolution10 ; sa grand-mère maternelle, quant à elle, était issue d'une famille écossaise et protestante, les Fleming.eanne Maillot et Henri, le couple des parents du général De Gaulle, forment une famille catholique qui réside à Paris au 15 de l'avenue de Breteuil. Bien que la famille de Gaulle vécût à Paris, la mère du général de Gaulle se rend dans sa famille à Lille pour donner naissance à son fils, en accord avec la tradition familiale de la famille Maillot12. La famille se rend régulièrement à Lille pour voir la grand mère Julia Delannoy-Maillot.
Charles André Joseph Marie de Gaulle est leur troisième enfant.
Charles de Gaulle a trois frères et une sœur :
Xavier de Gaulle (1887-1955), ingénieur, prisonnier de guerre, puis résistant pendant la Seconde Guerre mondiale ; il est notamment le père de Geneviève de Gaulle-Anthonioz ;
Marie-Agnès de Gaulle (1889-1982), nommée à titre honorifique colonel dans l'armée russe en 1950[réf. nécessaire] ;
Jacques de Gaulle (1893-1946), handicapé en 1926 à la suite d'une encéphalite, père de quatre fils — François (père blanc), Bernard (27 août 1923), Jean et Pierre (13 août 1926) ;
Pierre de Gaulle (1897-1959), résistant, homme politique et administrateur de sociétés.
Très tôt, grâce à son père, Charles découvre les œuvres de Maurice Barrès, Henri Bergson et Charles Péguy. Son père se dit monarchiste de regret et lit L'Action française, mais croit en l'innocence de Dreyfus. Sa mère est davantage passionnée de politique : dès la première page des Mémoires de guerre, Charles de Gaulle rend hommage à sa mère admirée, « qui portait à la patrie une passion intransigeante à l'égal de sa piété religieuse ».
Charles de Gaulle fait une partie de ses études primaires à l'école des Frères des écoles chrétiennes de la paroisse Saint-Thomas-d'Aquin. Il a son père comme enseignant chez les Jésuites. Lors de la crise politico-religieuse résultant des lois de 1901 et 1905 qui interdit aux congrégations d'enseigner, le professeur De Gaulle fonde à Paris en 1907 un cours libre secondaire, l'École Louis de Fontanes, et inscrit son fils Charles chez les jésuites français en Belgique au collège du Sacré-Cœur installé au château d'Antoing13. Le jeune lycéen vit ainsi sa première expérience d'exil.
Le jeune Charles a quinze ans quand, en 1905, il rédige un récit dans lequel il se décrit en « général de Gaulle » sauvant la France, témoignage d'une ambition nationale précoce14. Plus tard, il explique à son aide de camp Claude Guy avoir eu dès son adolescence la conviction qu'il serait un jour à la tête de l'État15,N 3.
Entré 119e sur 221 à l'École militaire de Saint-Cyr en 1908, après avoir suivi une année de préparation au collège Stanislas16 à Paris, il en sort diplômé en 1912, se classant à la 13e placeN 4, et rejoint l'infanterie. Il est affecté au 33e régiment d'infanterie à Arras et se retrouve sous les ordres du colonel Pétain.
Première Guerre mondiale
Officier général francais 2 etoiles.svg Charles de Gaulle
Portrait de 1942.
Portrait de 1942.
Origine Français
Allégeance Drapeau de la France France
Arme Armée de terre
Grade Général de brigade
Années de service 1908-194017
Conflits Première Guerre mondiale
Seconde Guerre mondiale
Commandement 507e régiment de chars de combat
4e division cuirassée de réserve
Faits d'armes Bataille de Dinant
Bataille de Verdun
Bataille de Montcornet
Bataille d'Abbeville
Bataille de Dakar
Autres fonctions Homme d'État
Président du gouvernement provisoire de 1944 à 1946
Président du Conseil des ministres français en 1958
Président de la République de 1959 à 1969
Famille De Gaulle
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Articles connexes : Première Guerre mondiale et Bataille de Dinant (1914).
Les quatre frères de Gaulle sont mobilisés comme officiers. Ils reviennent tous vivants et décorés. Charles qui était lieutenant depuis le 1er octobre 1913, est nommé capitaine en janvier 191518. Dès son premier combat à Dinant le 15 août 1914, il est touché à la jambe (« fracture du péroné par balles avec éclats dans l'articulation »)19. Il rejoint ensuite le 33e RI sur le front de Champagne pour commander la 7e compagnie. Il est à nouveau blessé le 10 mars 1915, à la main gauche, à Mesnil-Les-Hurlus en Champagne. Décidé à en découdre, il désobéit à ses supérieurs en ordonnant de tirer sur les tranchées ennemies. Cet acte lui vaut d'être relevé huit jours de ses fonctions. Officier tatillon, volontiers cassant, son intelligence et son courage face au feu le distinguent au point que le commandant du 33e RI lui offre d'être son adjoint20.
Le 2 mars 1916, son régiment est attaqué et décimé, anéanti par l'ennemi en défendant le village de Douaumont, près de Verdun. Sa compagnie est mise à mal au cours de ce combat et les survivants sont encerclés. Tentant alors une percée, il est obligé par la violence du combat à sauter dans un trou d'obus pour se protéger, mais des Allemands le suivent et le blessent d'un coup de baïonnette à la cuisse gauche21. Capturé par les troupes allemandes, il est soigné et interné. Cette disparition au front lui vaut d'être cité à l'ordre de l'armée22.
Statue près du pont de Dinant, où est inscrit sous son nom :
Dinant « Mon champ de bataille ».
Plaque sur le pont de Dinant commémorant l'endroit où il fut blessé alors qu'il traversait la Meuse en 1914.
Après une tentative d'évasion manquée à Osnabrück23, il est transféré au fort d'Ingolstadt, en Bavière, un camp de représailles destiné aux officiers prisonniers remuants. Il y croise le futur général Georges Catroux, l'aviateur Roland Garros, le journaliste Rémy Roure, le colonel Lucien NachinN 5,24,25,26 et le futur maréchal soviétique Mikhaïl Toukhatchevski. Un « lamentable exil », c'est en ces termes qu'il décrit à sa mère son sort de captif. Pour tromper l'ennui, de Gaulle organise pour ses compagnons de captivité des exposés magistraux sur l'état de la guerre en cours. Mais surtout, il tente de s'évader à cinq reprises, sans succès au cours de sa détention de trente-deux mois dans une dizaine de camps différents (Osnabruck, Neisse, Sczuczyn, Ingolstadt, forteresse de Rosenberg (de), prison militaire de Passau, camps de Wülzburg (de) et de Magdebourg)27. Il est libéré après l'armistice du 11 novembre 1918 et retrouve les siens le mois suivant. De ces deux ans et demi de captivité, il garde un souvenir amer, estimant être un « revenant », un soldat inutile qui n'a servi à rien28. Toutefois, il reçoit la croix de chevalier de la Légion d'honneur, le 23 juillet 1919, et la croix de guerre 1914-1918 avec étoile de bronze18.
Entre-deux-guerres : officier d'état-major
Article connexe : Entre-deux-guerres.
De la Pologne à l'École de guerre : officier conférencier
Charles de Gaulle poursuit sa carrière militaire sous la protection de Pétain, dans un premier temps.
Le 20 janvier 1919, il arrive à Saint-Maixent suivre les cours de remise à niveau destinés aux officiers de retour de captivité. Désireux de relancer sa carrière militaire compromise par ses mois de détention, il cherche à s'engager sur un théâtre d'opération, et postule à cet effet simultanément pour un engagement dans l'armée d'Orient et auprès de l'armée de Pologne. Début avril 1919, il obtient son détachement auprès de l'Armée polonaise autonome qui commence à quitter la France pour la Pologne. Il effectue dans le pays deux séjours très rapprochés, le premier d'avril 1919 à mai 1920, et le second de juin 1920 à la fin du mois de janvier 1921. Dans le cadre de la mission militaire française du général Henrys, le capitaine De Gaulle est affecté comme instructeur à l'école d'infanterie de Rembertow. Il y exerce successivement les fonctions d'instructeur, de directeur des études en novembre, et enfin de directeur du cours des officiers supérieurs à partir de décembre. Repoussant l'offre du général Henrys qui lui proposait de poursuivre sa mission auprès de lui, de Gaulle, qui ambitionne de se présenter au concours de l’École supérieure de guerre dans les meilleures conditions, retourne en France. Déçu par le poste qui lui échoit au cabinet des décorations du ministre, et alors que la guerre soviéto-polonaise fait rage, il repart en Pologne en mai 1920. D'abord témoin des épreuves traversées par la population polonaise, il prend ensuite activement part aux opérations avec le général Bernard au sein du 3e bureau du groupe d'armées Sud (puis Centre) commandé par le général polonais Rydz-Smigly. Il y gagne une citation. Après la victoire de la Pologne, il rédige notamment un rapport général sur l'armée polonaise. Si à l'analyse de l'action de l'unique régiment de chars FT 17, il a pu écrire « Les chars doivent être mis en œuvre rassemblés et non dispersés », de Gaulle découvre surtout en Pologne la guerre de mouvement et l'emploi des grandes unités de cavalerie comme élément de choc et moyen d'obtenir une décision à portée stratégique.
Son père (qui s'était fait rappeler à 66 ans en 1914) se retire progressivement de l'enseignement et Charles de Gaulle indique à sa famille qu'il souhaite se marier. Il a été affecté par le décès sous les bombes d'une « quasi fiancée », en 1916 en Belgique. Les familles lui présentent une jeune fille issue de la bourgeoisie du Nord. Charles de Gaulle épouse, le 7 avril 1921 dans l'église Notre-Dame de Calais, Yvonne Vendroux (1900-1979). Ils ont trois enfants :
Philippe de Gaulle, né le 28 décembre 1921 à Paris, amiral puis sénateur ;
Élisabeth de Gaulle, née le 15 mai 1924 à Paris et décédée le 2 avril 201329 ;
Anne de Gaulle, née le 1er janvier 1928 à Trèves et décédée le 6 février 1948 à Colombey-les-Deux-Églises, née trisomique.
À son retour, le capitaine de Gaulle est chargé de cours d'histoire à l'École de Saint-Cyr30, avant son admission à l'École supérieure de guerre en 1922. En conflit de doctrine avec ses supérieurs dont il conteste la vision stratégique trop liée à la planification défensive et compartimentée du terrain, mais bénéficiant de la protection du maréchal Pétain, il est mal noté, mais continue de se faire une réputation prometteuse.
En 1924, le maréchal Pétain fit rectifier les notes jugées injustes infligées à son protégé31.
En 1925, il est détaché à l'état-major du maréchal Pétain, vice-président du Conseil supérieur de la Guerre. Celui-ci l'impose comme conférencier à l'École de guerre et lui demande de préparer la rédaction d'un ouvrage sur l'histoire du soldat. En 1927, en présence du maréchal Pétain, il présente à l'École de guerre trois conférences remarquées, respectivement intitulées : « L'action de guerre et le chef », « Du caractère », et enfin « Du prestige ».
Théoricien militaire : les chars et l'armée de métier
Promu chef de bataillon le 25 septembre 1927, il part le mois suivant pour Trèves prendre le commandement du 19e bataillon de chasseurs à pied (BCP)32. Il y conduit un commandement énergique et continue ses conférences comme dans son poste suivant.
En novembre 1929, il est affecté à l’État-major des Troupes du Levant à Beyrouth où il est responsable des 2e et 3e bureaux (renseignement militaire et opérations). Accompagné de sa famille, il y demeure jusqu'en novembre 1931. Au cercle des Officiers de Beyrouth, il donne des conférences sur l'armée française ; il serait par ailleurs l'auteur d'une brochure, intitulée « La question Kurde » publiée en 1930 par l’Imprimerie du Bureau topographique du Levant.
Grâce à l'appui du maréchal Pétain, il est affecté en novembre 1931 au secrétariat général de la Défense nationale à Paris. Ce nouveau poste est capital, car c'est l'occasion de s'initier aux affaires de l'État33, puisqu'il est chargé en particulier de travailler au projet de loi militaire. Le 25 décembre 1933, il est promu lieutenant-colonel.
C'est durant ces années que Charles de Gaulle développe ses théories militaires : il publie La Discorde chez l'ennemi (1924), Le Fil de l'épée (1932), Vers l'armée de métier (1934) et enfin La France et son armée (1938).
Ce dernier livre, préparé d'abord en 1925 pour Philippe Pétain et auquel de Gaulle se consacra pendant deux ans, ne fut finalement pas retenu par le maréchal, qui l'ayant remanié confia le travail à un autre34. Ceci blessa de Gaulle qui dédia néanmoins au maréchal Pétain son ouvrage Le Fil de l'épée : « Car rien ne montre mieux que votre gloire, quelle vertu l'action peut tirer des lumières de la pensée ». En 1938, de Gaulle décida de publier sous son nom son texte et en avertit Pétain. Pour arranger les choses, le maréchal le reçut chez lui et lui proposa de rédiger une préface que de Gaulle ne reprit pas, d'où une brouille définitive entre les deux hommes qui ne se reverront brièvement qu'en juin 194035.
Dans son premier ouvrage, de Gaulle insiste sur la nécessité de l'unité du commandement et de la nation, donnant la primauté au politique sur le militaire. C'est selon lui à cause de ses divisions que l'Allemagne a perdu. En publiant la reprise de ses conférences sur le rôle du commandement, en 1932, dans Le Fil de l'épée il rappelle l'importance de la formation des chefs et le poids des circonstances. Si de Gaulle étudie l'importance de la défense statique au point d'écrire : « La fortification de son territoire est pour la France une nécessité permanente […] L'encouragement de l'esprit de résistance d'un peuple par l'existence de fortifications permanentes, la cristallisation, l'exaltation de ses énergies par la défense des places sont des faits que les politiques comme les militaires ont le devoir de reconnaître dans le passé et de préparer dans l'avenir », il n'en est pas moins sensible aux idées du général Jean-Baptiste Eugène Estienne sur la nécessité d'un corps de blindés36, alliant le feu et le mouvement, capable d'initiatives et d'offensives hardies. Sur ce point il entre de plus en plus en opposition avec les doctrines officielles, en particulier celles de Pétain.
Dans son ouvrage Vers l'armée de métier, il développe cette question de fond qui nécessite la création d'une armée professionnelle aux côtés de la conscription. Il devient alors le promoteur de la création d'unités blindées autonomes non liées à l'infanterie. Cependant, cette idée rencontre peu d'échos favorables, à l'exception notable de Paul Reynaud, député de centre-droit, ou de Philippe Serre.
À l'étranger, en revanche, l'idée du général Jean-Baptiste Eugène Estienne d'employer des blindés dans une « percée motorisée » reprise par de Gaulle a déjà suscité la plus grande attention (Heinz Guderian, Liddell Hart). Vers l'armée de métier n'a en France qu'un bref succès de curiosité et n'exerce aucune influence sur le général Guderian, déjà en train de créer la force mécanique allemandeN 6.
En revanche, contrairement à son influent aîné le colonel Émile Mayer, de Gaulle, attaché à la professionnalisation de l'armée de terre, ne perçoit pas l'importance de l'aviation à laquelle il n'attribue qu'un rôle secondaire : « les troupes à terre recevront de l'aviation une aide précieuse quant à leur camouflage. Les fumées épandues sur le sol du haut des airs cachent en quelques minutes de vastes surfaces du sol tandis que le bruit des machines volantes couvre celui des moteurs chenillés ». Il faudra attendre l'édition de 1944 où il fera ajouter une phrase : « Mais surtout en frappant elle-même à vue directe et profondément, l'aviation devient par excellence l'arme dont les effets foudroyants se combinent le mieux avec les vertus de rupture et d'exploitation de grandes unités mécaniques ».
À Paris, de Gaulle est introduit par Lucien Nachin dans le salon non conformiste qui se tient autour du colonel Émile Mayer, retraité très ouvert, favorable à une réforme de la stratégie : l'état-major ne doit pas se contenter d'une stratégie défensive derrière la ligne Maginot. Cependant, ni l'un ni l'autre ne sont écoutés26. Partant des idées du général Fuller et du critique militaire britannique Liddell Hart, Charles de Gaulle défend une guerre de mouvement menée par des soldats de métier, et appuyée par des blindés.
En revanche, en Allemagne, les théories de Charles de Gaulle sont suivies avec intérêt en haut lieu, Albert Speer rapportant notamment qu'Adolf Hitler avait lu à plusieurs reprises le livre du général de Gaulle et qu'il affirmait avoir beaucoup appris grâce à lui37.
Idées et fréquentations politiques avant la guerre
Charles de Gaulle fait une conférence à la Sorbonne au printemps 1934, sous l'égide du cercle Fustel de Coulanges, une vitrine de l’Action française38. Influencé originellement par la tradition monarchiste, Charles de Gaulle, militaire soumis au devoir de réserve, révèle dans sa correspondance privée son peu de considération pour le parlementarisme et lui préfère un régime fort, tout en se tenant publiquement à l'écart de l’anti-républicanisme d'une partie de l'armée39. Cette méfiance à l'égard du parlementarisme explique que Charles de Gaulle se soit senti avant la guerre proche de l'Action française, avant que la position de Maurras relative aux accords de Munich ne l'en éloignent. Ainsi, Paul Reynaud, qui rencontra en captivité en Allemagne la sœur du général de Gaulle, Marie-Agnès Caillau, note dans ses carnets de captivité parlant de cette dernière40 : « Très franche, intelligente et bonne, [elle] nous raconte que Charles était monarchiste, qu'il défendait Maurras contre son frère Pierre jusqu'à en avoir les larmes aux yeux dans une discussion. Mais au moment de Munich, il a désapprouvé entièrement l'attitude de Maurras. » De même, Christian Pineau dira à André Gillois « que le général avait reconnu devant lui qu’il avait été inscrit à l’Action française et qu’il s’était rallié à la République pour ne pas aller contre le sentiment des Français »41. Lui-même résistant de gauche, Claude Bourdet qualifiera de Gaulle d’homme de droite, longtemps proche de l’Action française, devenu républicain par mimétisme42. Selon Edmond Michelet, de Gaulle subit l’influence de Maurras43,N 7. Ses idées se heurtent pourtant d'une part au profond conservatisme des dirigeants militaires, et d'autre part aux réticences des républicains face à un militaire de réputation maurrassienne.
Pourtant, si la pensée de Maurras a influencé de Gaulle44,N 8, celui-ci est aussi un disciple de Péguy, influencé par le socialisme de Pierre Leroux et de Bergson.
De fait il fréquente le colonel Émile Mayer, officier israélite, dreyfusard et socialisant. Ayant avant la Première Guerre mondiale assisté à Lille à des meetings de Jaurès, il a aussi fréquenté le socialiste Club du Faubourg et les mouvements non-conformistes des années 30 (Esprit). Il adhéra également aux Amis de Temps Présent, groupe de militants qui soutenait Temps présent, comme l'indique Éric Roussel, qui signale cependant que de Gaulle « n'est pas devenu pour autant démocrate-chrétien, loin s'en faut45. » Cet hebdomadaire est en effet de la mouvance catholique progressiste et proche du Sillon de Marc Sangnier46, mouvance qui fut favorable au Front populaire et à l'intervention de la France aux côtés des Républicains espagnols. L'hebdomadaire Temps présent saluera la nomination de Charles de Gaulle comme sous-secrétaire d'État à la guerre dans son dernier numéro de juin 1940, comme le signale le Centre d'information sur le gaullisme47, signalant au passage que de Gaulle fut aussi l'un des premiers abonnés à Sept, hebdomadaire à direction religieuse dont Temps présent était le successeur.
Le 1er janvier 1934, Charles de Gaulle publie dans la revue militaire une étude sur la mobilisation économique à l'étranger. À la recherche d'exemples pour la France, il cite parmi d'autres l'Italie mussolinienne48,N 9. Mais il étudie aussi favorablement l'exemple de l'Amérique de Roosevelt. Le futur général de Gaulle fera l'apologie du livre La réforme de l'État publié par André Tardieu en 1934 et dira s'en être inspiré pour la constitution de la Ve République49.
De fait, avant la guerre, de Gaulle n'est pas un idéologue, mais un homme de réflexion et d'actionN 10 et d'ambition prêt à faire son miel de tout.
À cette fin, il se rapproche d'hommes politiques de différentes tendances pour se faire connaître et faire progresser ses idées. S'il fréquente beaucoup Paul Reynaud à qui il écrira soixante fois de 1936 à 194050,N 11, il se rapproche également de Marcel Déat qui après avoir rompu avec Léon Blum, souhaite intégrer au projet socialiste les valeurs d'ordre, d'autorité et de nation. De Gaulle rencontre Marcel Déat à plusieurs reprises grâce à un de ses proches, l'avocat Jean Auburtin ; les deux hommes s'estiment et resteront en contact jusqu'à la veille du conflit51. De Gaulle affirme à propos de Marcel Déat en novembre 193752 : « Déat a sans aucun doute un grand talent et une haute valeur. C'est de quoi on lui en veut. Mais patience, je crois qu'on le verra remonter et aller très haut. »
À la publication de l'ouvrage, Léon Blum manifeste sa vive hostilité pour les idées de l'armée de métier du colonel de Gaulle dans trois articles publiés par le Populaire, car il craint qu'elle ne soit utilisée contre le peuple, notamment les grévistes. Et, de fait, comme le montre une lettre de 1935 envoyée à Paul Reynaud, de Gaulle n'excluait nullement une telle possibilité. Certains passages des livres publiés par le colonel de Gaulle suscitent d'ailleurs l'approbation de l'Action française53.
En 1935, de Gaulle approuve le pacte franco-soviétique signé par Laval et Staline, évoquant l'alliance de François Ier avec les Musulmans contre Charles Quint pour justifier une alliance destinée à assurer la survie du pays pour justifier un accord avec les Russes « quelque horreur que nous ayons pour leur régime »54. La vision de De Gaulle fait abstraction des idéologies qui pour lui comptent peu face aux permanences géopolitiques et nationales, l'alliance est avec les Russes, non avec le communisme, de même que la guerre est contre l'Allemagne, non contre le national-socialisme55.
Charles de Gaulle explique dans Vers l'armée de métier quelle est la condition pour faire aboutir ses idées qui sont d'abandonner le service militaire universel au profit d'une armée motorisée composée exclusivement de professionnels : « Il faut qu'un maître apparaisse, indépendant dans ses jugements, irrécusable dans ses ordres, crédité par l'opinion. Serviteur du seul État, dépouillé de préjugés, dédaigneux des clientèles, commis enfermé dans sa tâche, pénétré de longs desseins, au fait des gens et des choses du ressort, faisant corps avec l'armée, dévoué à ceux qu'il commande, homme assez fort pour s'imposer, assez habile pour séduire, assez grand pour une grande œuvre, tel sera le ministre, soldat ou politique, à qui la patrie devra l'économie prochaine de sa force. » Il affirme également :« Il n'est point de regroupement, de parti, de consul, qui n'invoque le redressement, l'ordre nouveau, l'autorité. Nul doute qu'à bref délai le jeu des institutions, suivant le mouvement des besoins, n'ouvre le champ aux résolus. » Cet appel à la figure du grand homme était déjà présente dans Le Fil de l'épée, où, dès 1932, il exalte56, « les ambitieux de premier rang [...] qui ne voient d'autre raison que d'imprimer leur marque aux événements » ; dans cet ouvrage, il affirme également : « On ne fait rien de grand sans de grands hommes, et ceux-ci le sont pour l'avoir voulu. » Dans le Fil de l'épée, il dresse le portrait de l'ambitieux de haute stature qui n'est pas seulement un soldat : c'est un soldat qui parfois prend en charge les affaires de la nation et il offre comme exemples Louvois et Carnot57, « dictateurs de guerre ».
Néanmoins, Blum se laisse progressivement intéresser par la thématique des chars qu'il soutiendra tardivement au moment de la guerre.
En juillet 1937, le lieutenant-colonel de Gaulle est affecté au 507e régiment de chars de combat basé au quartier Lizé à Montigny-lès-Metz. C'est la rencontre concrète avec « son » outil. Il en prend le commandement par intérim en septembre suivant58, sous les ordres du général Charles Delestraint59. Il est promu colonel le 25 décembre 1937. Lors des manœuvres, il tente d'imposer, contre le règlement, sa conception de l'usage autonome des blindés, ce qui lui vaut l'hostilité de son supérieur, le général Henri Giraud.
Seconde Guerre mondiale
Article connexe : Seconde Guerre mondiale.
Charles de Gaulle à Londres.
Lorsque la guerre éclate, Charles de Gaulle est toujours colonel, commandant le 507e régiment de chars de combat (RCC), à Metz. En janvier 1940, il envoie à quatre-vingts personnalités, dont Léon Blum et Paul Reynaud, ainsi qu'aux généraux Maurice Gamelin et Maxime Weygand, un mémorandum fondé sur les opérations de Pologne. Intitulé L'Avènement de la force mécanique, le texte insiste sur la nécessité d'allier le char et l'aviation.
Trois jours avant l'offensive allemande du 10 mai 1940, qui conduit à une percée rapide du front français, le colonel de Gaulle est averti de la décision du commandement de lui confier la 4e DCR, la plus puissante des grandes unités blindées de l'armée française (364 blindés60) dont il prend effectivement le commandement le 11 mai.
Le 15 mai, il reçoit la mission de retarder l'ennemi dans la région de Laon afin de gagner des délais nécessaires à la mise en place de la 6e armée chargée de barrer la route de Paris. Mais sa division blindée n'est encore qu'en cours de constitution, ses unités n'ayant jamais opéré ensemble. Il dirige pourtant avec cette unité une contre-attaque vers Montcornet, au nord-est de Laon. C'est l'une des seules qui parviennent à repousser momentanément les troupes allemandes. Prévoyant la défaite rapide de l'armée française sous l'offensive allemande, les civils et les militaires désarmés sur les routes, il affirme que c'est durant la journée du 16 mai que « ce qu'[il] a pu faire, par la suite, c'est ce jour-là qu'[il] l'a résolu. »N 12. N'ayant reçu qu'une partie des unités de la 4e DCR, le colonel de Gaulle lance une première attaque avec 80 chars pour tenter de couper les lignes de communication des divisions blindées allemandes le 17 mai. Après avoir atteint ses objectifs dont la ville de Montcornet, la 4e DCR, n'étant pas appuyée, est contrainte de se replier face à l'intervention de renforts ennemis. Les autres unités de la 4e DCR ayant rejoint, une nouvelle attaque peut être lancée avec 150 chars qui, après avoir permis d'atteindre les premiers objectifs, est arrêtée par l'intervention de l'aviation d'assaut et de l'artillerie allemandes.
Le 21 mai, à la suite de la bataille de Montcornet, l'état-major envoie un correspondant de guerre pour interroger de Gaulle, qui lance à cette occasion, à Savigny-sur-Ardres, un premier appel radiodiffusé destiné à remonter le moral des Français en vantant les mérites des divisions blindées et qui se termine par la phrase : « Grâce à cela, un jour, nous vaincrons sur toute la ligne »61.
Le 25 mai, il est nommé général de brigade à titre temporaire62,63. Cette nomination, dans une promotion de six colonels, correspond au fait que de Gaulle en tant que commandant d'une division blindée depuis le 7 mai 1940, fait déjà fonction de général, ses trois collègues commandants de division blindée (DCR) étant tous déjà généraux. Elle suscite la satisfaction de Charles Maurras dans l'Action française64,65,N 13.
Trois jours plus tard, le 28 mai, il attaque à deux reprises pour détruire une poche que l'ennemi a conquise au sud de la Somme, à hauteur d'Abbeville. Malgré un déplacement préalable de 200 km qui a lourdement éprouvé le matériel de la 4e DCR, l'opération est un succès[réf. nécessaire]. Elle permet de faire plus de 400 prisonniers et de résorber toute la poche à l'exception d'Abbeville, en raison de la supériorité en nombre et en artillerie de l'adversaire. Celui-ci ne peut franchir la Somme que plus tard au nord d'Abbeville, mais une deuxième attaque ne permet pas à la 4e DCR de prendre la ville.
Commentant le comportement militaire de De Gaulle sur le terrain, l'historien Henri de Wailly avance que celui-ci, loin d'avoir été particulièrement brillant, a montré dans la bataille « les mêmes faiblesses et les mêmes incompétences » que les autres dirigeants militaires66. De son côté, le général Weygand, chef des armées, décerne, le 31 mai 1940, au général (à titre temporaire) de Gaulle une citation très élogieuse en tant que commandant d'une division blindée près d' Abbeville : « Chef admirable de cran et d'énergie. A attaqué avec sa division la tête de pont d'Abbeville très solidement tenue par l'ennemi. A rompu la résistance allemande et progressé de 14 kilomètres à travers les lignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers et capturant un matériel considérable »67.
Le 6 juin, le général de Gaulle est convoqué d'urgence à Paris par Paul Reynaud, président du Conseil, pour occuper un poste ministériel dans son gouvernement, celui de sous-secrétaire d'État à la Guerre et à la Défense nationale. Charles de Gaulle sort alors de la hiérarchie militaire. Il a pour mission de coordonner l'action avec le Royaume-Uni pour la poursuite du combat. Le 9 juin, il rencontre Churchill qu'il tente en vain de convaincre d'engager davantage de forces, y compris aériennes, dans la bataille. Le 10 juin, de Gaulle quitte Paris qui est déclarée ville ouverte. Il rejoint alors Orléans, Briare et Tours68. C'est le moment des ultimes réunions du Comité suprême interallié où Churchill, lors de la conférence de Briare à laquelle de Gaulle participeN 14, tente de convaincre le gouvernement français de continuer la guerre. Le 16 juin, il est en mission à Londres. Il y dicte au téléphone la note de Jean Monnet à Paul Reynaud, intitulée Anglo-French Unity, et qui évoque une possible union franco-britannique. De retour de mission, à Bordeaux, il apprend, le 17 juin, la démission du président du Conseil, Paul Reynaud, son remplacement par le maréchal Pétain et la demande d'armistice. Le même jour, le général Weygand alors chef d'état-major de l'Armée est nommé ministre de la Défense nationale. Le transfert des pouvoirs au maréchal Pétain n'ayant lieu que le lendemain, de Gaulle est encore membre du gouvernement et court alors peu de risques69. Après maintes hésitations selon l'officier de liaison le général britannique Edward Spears70, il a l'intention de regagner Londres. Il rencontre Paul Reynaud pour lui faire part de son projet. Ce dernier lui fait remettre par son ex-directeur de cabinet Jean Laurent 100 000 francs prélevés sur les fonds secrets pour sa logistique à Londres. Le 17 juin, accompagnant Spears qui n'a pas réussi à convaincre Reynaud et Georges Mandel de rejoindre Londres, il s'envole à Londres avec son aide de camp Geoffroy Chodron de Courcel dans le de Appel du 18 Juin 1940
Article détaillé : Appel du 18 Juin.
Affichette placardée dans toute la ville de Londres, souvent confondue avec l'appel du 18 Juin.
Plaque commémorative sur le mur de Carlton House Terrace (Londres), son quartier général pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le 18 juin 1940, de Gaulle se prépare à parler au peuple français sur Radio Londres de la BBC. Ce jour-là, il appelle les Français, et tout particulièrement les militaires, à la résistance depuis l'Angleterre où il s'est réfugié. En France, l'appel du 18 Juin peut être entendu à 19 h. Depuis ce jour, ce texte demeure l'une des plus célèbres allocutions de l’Histoire de France, à l'origine du mythe faisant du général le « père de la Résistance » alors que ce dernier ne prend conscience de l'intérêt de la Résistance intérieure qu'à partir de 194173. Aucun enregistrement n'a été conservé, contrairement au discours du 22 juin 1940, que l'on confond parfois avec le véritable appel.
Le gouvernement britannique avait au préalable proposé au ministre français de l'Intérieur Georges Mandel de passer au Royaume-Uni et de lancer lui-même un appel. Par ses avertissements répétés contre les menaces du IIIe Reich (et en opposition à ce sujet avec son ami le président du Conseil Léon Blum), Mandel s'était signalé comme un homme d'État et de caractère. Tout au long de la journée du 18 juin, le Conseil des ministres britannique discute du texte de De Gaulle. Le cabinet britannique tente de s'y opposer, mais Winston Churchill le soutient74. Les anciens « Munichois », derrière le ministre des Affaires étrangères lord Halifax, veulent encore ménager le gouvernement Pétain et attendre de voir s'il va effectivement signer l'Armistice. Winston Churchill, vieux partisan de la fermeté contre Hitler et de la poursuite de la lutte, doit mettre son autorité dans la balance. De Gaulle peut finalement prononcer son texte, mais doit accepter d'en modifier les deux premières lignes75 dans un sens moins dur pour le gouvernement français. Cette modification longtemps occultée disparait dans le texte transmis à la presse, puis dans les Mémoires de De Gaulle.
Le 19 juin, Weygand, supérieur hiérarchique de De Gaulle, lui ordonne de revenir de Londres, ignorant l'invitation à poursuivre le combat que ce dernier lui adresse76,77. Peu après, de Gaulle est rétrogradé au rang de colonel par son ministre, qui convoque successivement deux tribunaux militaires, lesquels le condamnent deux fois par contumace : le premier n'ayant prononcé qu'une peine symbolique — quatre ans de prison et la perte de la nationalité française78 — le second, à Clermont-Ferrand le 2 août 1940, le condamne à « mort, dégradation militaire et confiscation de ses biens meubles et immeubles » pour « trahison, atteinte à la sûreté extérieure de l'État, désertion à l'étranger en temps de guerre sur un territoire en état de guerre et de siège ». Sa déchéance de la nationalité française, en vigueur au 2 août, est confirmée dans un décret du 8 décembre 194079.
France libre
Articles détaillés : France libre et Forces françaises libres.
De Londres, de Gaulle crée puis dirige les Forces françaises libres. Il est reconnu par Winston Churchill chef des Français libres le 27 juin 1940. Le but n'est pas de mettre en place une légion de volontaires qui continuerait la lutte aux côtés de l'Empire britannique. Il s'agit pour de Gaulle de remettre la France en tant que telle dans la guerre contre Hitler, en formant une armée et un contre-État doté de tous les attributs de souveraineté et légitimité, et qui se donne une base territoriale en ralliant les territoires français de l'Empire colonial, future plate-forme de la reconquête80.
Dès le début de l'été 1940, à partir de presque rien et assisté de quelques volontaires, de Gaulle jette ainsi les bases d'une marine (FNFL), d'une aviation (FAFL), de forces terrestres (FFL), d'un service de renseignements (le BCRA du colonel Passy, vite actif en métropole). La Croix de Lorraine proposée par l'amiral MuselierN 15,81,82, devient son emblème. Les statuts juridiques de la France libre et ses rapports avec le gouvernement anglais sont fixés par le juriste René Cassin. La France libre a bientôt sa banque, son journal officiel, ses décorations — le Général fonde l'Ordre de la Libération à Brazzaville dès octobre 1940, pour honorer ses « compagnons ». Des comités français libres actifs dans le monde entier se constituent et tentent de rallier à de Gaulle les Français de l'étranger, les opinions et les gouvernements83.
Avec le gouverneur-général Félix Éboué au Tchad (Afrique-Équatoriale française) vers la fin 1940.
En France, de Gaulle a été condamné deux fois par contumaceN 16. En Grande-Bretagne, il trouve en revanche le soutien de Winston Churchill, mais aussi celui du Parlement, de la presse et de l'opinion publique, reconnaissantes au gallant French d'être resté aux côtés du pays au pire moment de la menace allemande. Cet appui, comme celui de l'opinion américaine, se révèle plus tard un atout très précieux lors des tensions avec Londres et Washington84.
Obtenant le ralliement de plusieurs possessions coloniales françaises, notamment en Afrique grâce au ralliement rapide du gouverneur Félix Éboué (le 28 août le Tchad, le Congo et le Cameroun, le Gabon étant conquis dans le mois de novembre 1940), de Gaulle se place à la tête du Comité national français à partir du 24 septembre 1941. Mais il fait surtout en sorte que la France reste présente dans le camp allié, par ses Forces françaises libres (FFL) qui continuent le combat sur les différents fronts. En outre, à partir de 1941-1942, il stimule et obtient le ralliement de la résistance intérieure, grâce au colonel Passy, à Pierre Brossolette et à Jean Moulin. Le 13 juillet 1942, le Comité national français propose au gouvernement britannique, qui l'accepte, de changer l'appellation officielle du mouvement France libre en France combattante, afin d'intégrer la Résistance intérieure85.
De nombreux facteurs s'opposaient à ce rapprochement de la résistance intérieure et des forces françaises libres. Dans La France de Vichy, Robert O. Paxton remarque qu'en 1940, bien des résistants de gauche refusent de voir un chef convenable dans ce militaire qu'ils croient à tort proche de l'Action française, et qui en 1940, est entouré par des Français libres favorables à un changement de régime. Selon Jean Pierre-Bloch, Christian Pineau, Henri d'Orléans (« comte de Paris ») et même le gaulliste Pierre Lefranc, le ralliement à la République n'aurait d'ailleurs été que tactique. À l'inverse, beaucoup de résistants de droite lui reprochent sa dissidence explicite avec Vichy — à moins qu'ils ne préfèrent, comme Marie-Madeleine Fourcade, n'avoir de relations qu'avec les services secrets britanniques. Le rôle de la radio, qui permet à De Gaulle d'être la voix de la France et son acceptation politique d'un retour à la république permettent à Jean Moulin de le faire reconnaître comme chef par l’essentiel des réseaux, y compris communistes.
Dès 1940, de Gaulle n'a de cesse que soient protégés les intérêts de la France, dans la guerre et après le conflit. Le 7 août 1940, il obtient ainsi de Churchill la signature de l'accord des Chequers, par lequel le Royaume-Uni s'engage à sauvegarder l'intégrité de toutes les possessions françaises et à la « restauration intégrale de l'indépendance et de la grandeur de la France ». Le gouvernement britannique s'engage de plus à financer toutes les dépenses de la France libre, mais de Gaulle insiste pour que ces sommes soient des avances remboursables et pas des dons qui jetteraient une ombre, aussi ténue soit-elle, sur l'indépendance de son organisation.
Sikorski, McNaughton, Churchill et de Gaulle en 1941.
Malgré les relations de confiance scellées par traités entre Churchill et de Gaulle, les deux hommes ont des relations parfois tendues, gênées par l'anglophobie que manifestait le Général dans les années 1920 et 1930. Et quand Churchill, à court d'arguments, lance à de Gaulle : « Mais vous n'êtes pas la France ! Vous êtes la France combattante, nous avons consigné tout cela par écrit », de Gaulle réplique immédiatement : « J'agis au nom de la France. Je combats aux côtés de l'Angleterre mais non pour le compte de l'Angleterre. Je parle au nom de la France et je suis responsable devant elle ». Churchill abdique alors en poussant un « J'avais espéré que nous pourrions combattre côte à côte. Mais mes espoirs ont été déçus parce que si vous êtes si combatif que non content de lutter contre l'Allemagne, l'Italie et le Japon, vous voulez aussi combattre l'Angleterre et l'Amérique… ». De Gaulle recadre alors le débat en précisant : « Je prends cela comme une plaisanterie, mais elle n'est pas du meilleur goût. S'il y a un homme dont les Anglais n'ont pas à se plaindre, c'est bien moi ». Ils sont au bord de la rupture en 1941, au sujet de la Syrie, puis en 1942 au sujet de sa convocation à Alger après le débarquement allié en Afrique du Nord (opération Torch).
Les relations avec Franklin Delano Roosevelt sont plus problématiques. Le président américain, personnellement francophile, a été déçu par l'effondrement de la France en 1940 et refroidi à l'égard de De Gaulle par l'échec de son entreprise devant Dakar (fin septembre 1940). Les antigaullistes français sont nombreux à Washington, par exemple l'ancien secrétaire général du Quai d'Orsay Alexis Léger (Saint-John Perse) qui lui décrit ce général comme un « apprenti dictateur ». Le président est aussi très mal informé sur la situation en France par l'ambassadeur américain à Vichy (jusqu'au mois de mai 1942), l'amiral Leahy, lui-même intoxiqué par les pétainistes. Il n'a donc aucune confiance en de Gaulle. Un mot de De Gaulle à Churchill explique en partie l'attitude française face à l'Amérique : « Je suis trop pauvre pour me courber. » De surcroît, au contraire du Général qui mise beaucoup sur l'Empire français, le président américain est profondément hostile au système colonial. Roosevelt projetait de faire de la France un État faible, et le projet d'Allied Military Government of Occupied Territories (AMGOT) allait d'ailleurs très loin dans cette direction, en traitant la France comme un vaincu, plutôt que comme une des puissances victorieuses. La haine de Roosevelt était tellement flamboyante (il considérait de Gaulle au pire comme un futur tyran, au mieux comme un opportuniste) que même ses adjoints finirent par en prendre ombrage, y compris le Secrétaire d'État Cordell Hull qui, finalement, se rangea aux côtés de la France libre et de son chef.
En compagnie de Churchill à Marrakech en 1944.
Jusqu'en 1943, les gouvernements en exil en Angleterre s'étaient contentés de relations de bon voisinage avec les gaullistes. C'est que tous ces gouvernements, qui étaient légaux, s'estimaient installés dans une meilleure position que les gaullistes qui étaient, de fait, des dissidents par rapport au gouvernement Pétain que les Français avaient installé dans des conditions reconnues légales, au début, par les grandes puissances. Cette situation évolua lentement. Mais, en 1943, le gouvernement belge en exil de Hubert Pierlot et Paul-Henri Spaak précipita le mouvement et fut le premier à reconnaître officiellement les « Français Libres » et de Gaulle comme seuls représentants légitimes de la France. Le gouvernement anglais, en l'occurrence Anthony Eden, un proche de Churchill, avait tenté de dissuader les Belges, craignant que leur initiative serve de modèle aux autres gouvernements en exil. Les Américains eux-mêmes intervinrent, croyant pouvoir utiliser les relations commerciales belgo-américaines pour faire pression sur les Belges (notamment quant à leurs commandes d'uranium du Congo belge). Rien n'y fit. Malgré les pressions britanniques et américaines, Spaak fit savoir officiellement que la Belgique considérait dès lors le gouvernement Pétain comme dépourvu de légitimité et le Comité des Français libres, plus tard Gouvernement provisoire de la France, comme seuls habilités à représenter légalement la France86.
Libération de la France et de ses colonies
Serrant la main du général Giraud, à la demande de Roosevelt (au centre) et de Churchill (à droite), lors de la conférence de Casablanca le 17 janvier 1943.
Malgré son exclusion par Roosevelt du débarquement américano-britannique en Afrique du Nord (opération Torch), et surtout malgré le soutien apporté par les États-Unis à l'amiral François Darlan, puis au général Henri Giraud, de Gaulle réussit à prendre pied à Alger en mai 1943. Le Comité national français fusionne avec le Commandement en chef français civil et militaire dirigé par Giraud, pour donner naissance au Comité français de Libération nationale (CFLN), dont Giraud et de Gaulle sont coprésidents. Mais en quelques mois, de Gaulle marginalise Giraud au sein du CFLN, avant de l'évincer en novembre à la faveur de la formation d'un nouveau gouvernement, et de s'affirmer comme le seul chef politique des forces françaises alliées87. Les Forces françaises libres fusionnent quant à elle avec l'Armée d'Afrique placée sous le commandement de Giraud : l'Armée française de la Libération, composée de 1 300 000 soldats, participe aux combats aux côtés des Alliés. Le 3 juin 1944 à Alger, le CFLN devient le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF).
Après le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944, le général de Gaulle pose le pied en territoire français sur la plage de Courseulles-sur-Mer, en Normandie, le 14 juin, en descendant du torpilleur La Combattante. Ce même jour, il prononce le premier discours de Bayeux et les Français découvrent alors son imposante silhouette (il mesure 1,93 m).
La fermeté et la rapidité avec lesquelles le général de Gaulle rétablit l'autorité d'un gouvernement national permettent d'éviter la mise en place de l'AMGOT, prévu par les Américains, qui aurait fait de la France libérée un État administré et occupé par les vainqueurs.
Avec le général Charles Mast à Tunis en 1943.
L'itinéraire du 20 au 25 août 1944 du général de Gaulle n'est pas tout à fait clair ; il comporte des imprécisions et même des incohérences selon les sources. Le 20 août, il est à Cherbourg. Il rencontre le général Eisenhower à Tournières. Il passe par Coutances, Avranches, Fougères pour se rendre à Rennes. Le 21 août, il se recueille à Paimpont sur la tombe de sa mère. Le 22 août, il est à Laval88, où il prononce un discours type dans la suite du discours de Bayeux. Il passe ensuite à Meslay-du-Maine, Sablé, Le Mans, puis le 23 août à La Ferté-Bernard, Nogent-le-Rotrou, Chartres, et arrive enfin à Rambouillet à 18 h.
La 2e division blindée du général Leclerc libère Paris le 25 août et celui-ci reçoit la reddition de Von Choltitz. Ce même jour, le général de Gaulle se réinstalle au ministère de la Guerre, rue Saint-Dominique à Paris, dans le bureau qu'il occupait jusqu'au 10 juin 1940, signifiant ainsi que « Vichy » était une parenthèse et que la République n'avait jamais cessé d'exister. Puis il se rend à l'Hôtel de ville, où il prononce un discours dans lequel il insiste sur le rôle essentiel joué par les Français pour leur propre libération. Le lendemain, 26 août, il descend triomphalement les Champs-Élysées et fleurit la tombe du soldat inconnu. Le « peuple dans ses profondeurs » manifeste un enthousiasme indescriptible89.
Le GPRF est transféré à Paris. Le 9 septembre 1944, un gouvernement d'unité nationale est constitué, sous la présidence du général de Gaulle. L'Assemblée constituante est ensuite élue en octobre 1945, six mois après la fin de la guerre.
Gouvernement provisoire de la République française
Article connexe : Gouvernement provisoire de la République française.
De Gaulle Prononçant son discours après la Libération de Paris.
Avec son entourage, défilant sur les Champs-Élysées après la libération de Paris en août 1944.
De Gaulle Prononçant un discours à Cherbourg, en août 1944.
Bien après d'autres pays européens, les femmes françaises obtiennent le droit de vote exercé pour la première fois aux élections municipales de 1945. Pour la professeur d’histoire à l’université d’Angers Christine Bard : « Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle90. »
D'autres réformes figurant dans ce même programme sont entreprises à la Libération : depuis les nationalisations à la mise en place du monopole de l'assurance maladie obligatoire qu'est la sécurité sociale (l'Alsace et la Moselle conserveront le système d'assurance maladie instauré par Bismarck). Elles doivent beaucoup à la SFIO, au Parti communiste et au Mouvement républicain populaire (MRP) qui étaient les forces politiques les plus représentées dans le Conseil national de la Résistance.
Président du Gouvernement provisoire, mais en désaccord avec l'Assemblée constituante sur la conception de l'État et le rôle des partis, de Gaulle remet sa démission sur la question des crédits militaires au président de l'Assemblée nationale, Félix Gouin, le 20 janvier 1946. Il a rempli la mission qu'il s'était donnée le 18 juin 1940 : libérer le territoire, restaurer la République, organiser des élections libres et démocratiques, entreprendre la modernisation économique et sociale. Durant cette période, il exerça de fait une fonction équivalente à celle de chef de l'État. Le 8 avril 1946, il reçoit une lettre de Félix Gouin lui proposant de « fixer sa situation dans l'Armée » en l'élevant à la dignité de maréchal de France. Il refuse disant qu'il est impossible de « régulariser une situation absolument sans précédent »91.
Parcours politique pendant la IVe République
Le 16 juin 1946, de Gaulle expose sa vision de l'organisation politique d'un État démocratique fort à Bayeux, en Normandie, dans un discours resté célèbre ; mais il n’est pas suivi. Il inaugure alors sa fameuse « traversée du désert » jusqu'en 1958, date de son retour au pouvoir.
Fondation du RPF
Article détaillé : Rassemblement du peuple français.
En 1947, il fonde un mouvement politique, le Rassemblement du peuple français (RPF), afin de transformer la scène politique française, de lutter contre le régime « exclusif » des partis, de s'opposer à l'avancée du communisme et de promouvoir une nouvelle réforme constitutionnelle privilégiant le pouvoir exécutif. Il propose également une troisième voie économique (l'association capital-travail). Le RPF reprend également les thèmes de la droite la plus traditionnelle : ultra-conservatisme colonial (il critique jusqu'à la construction de lycées d'enseignement général à Madagascar), anticommunisme virulent (exploitant les inquiétudes sur l'avancée du communisme dans l'Union française et en Indochine) et même, au moins jusqu'en 1950, la clémence à l'égard de Philippe Pétain. Toutefois, les déclarations du colonel Rémy réhabilitant le rôle du maréchal Pétain seront immédiatement désavouées par le général de Gaulle, mais pas l'initiative de Terrenoire, demandant son amnistie. Il est vrai, comme le rappelle l'historien René Rémond (dans Les Droites en France), que c'est au nom de la réconciliation nationale qu'en 1949 et 1950, le même général de Gaulle plaidait pour l'élargissement du « vieillard de quatre-vingt-quinze ans ».
Le parti rallie des résistants (dont Jacques Chaban-Delmas) mais aussi des notables comme Édouard Frédéric-Dupont ou Edmond Barrachin (qui fut, dans les années 1930, directeur du comité central du Parti social français). D'anciens pétainistes et même d'anciens collaborateurs parviennent à s'y faire admettre, notamment dans les sections d'Indochine et d'Algérie, dans le service d'ordre, dans les rangs des syndicats ouvriers proches du R.P.F. et parmi les maires élus en 1947. Certains polémistes du parti, notamment Jean Nocher, déploient une extrême agressivité verbale. Pour ces raisons, l'historien Henry Rousso (dans Le Syndrome de Vichy) discerne au RPF « des tendances pro-pétainistes, soit qu’elles aient été envoûtées par la magie du verbe maréchaliste, soit qu’elles aient été convaincues de son impact dans l’opinion ». René Rémond (Les Droites en France) préfère rapprocher le RPF de la lignée du bonapartisme et du boulangisme, tout en observant que le RPF est, dans l'histoire du gaullisme, l'épisode le moins éloigné de « ce qu'en France on a l'habitude de qualifier de fascisme ».
Après un grand succès en 1947-1948 (35 % des suffrages aux municipales de 1947, 42 % des sénateurs élus en 1948), le RPF décline de 1949 à 1951. La gestion efficace des événements sociaux de l'automne 1947 par le gouvernement de la troisième force a affaibli le mouvement gaulliste. Le recours à de Gaulle semble alors moins nécessaire pour les conservateurs, les modérés et le patronat. Dans l'opposition, le RPF est frappé d'un véritable ostracisme de la part des autres partis politiques, entretenu par le refus du général de Gaulle de se compromettre avec les autres partis. En 1951, le RPF obtient encore plus de 4 millions de voix (22,3 % des suffrages et 16,8 % des inscrits) et 117 députés.
Le RPF est irrémédiablement affaibli par la défection de vingt-sept députés : ainsi, contre les consignes du Général, Édouard Frédéric-Dupont et Edmond Barrachin votent la confiance au gouvernement d'Antoine Pinay en 1952. En juillet, quarante-cinq autres font défection. Les gaullistes se divisent alors entre les loyalistes, qui fondent l'Union des républicains d'action sociale (URAS), et les autres, qui rejoignent l'Action républicaine et sociale (ARS).
Mise à l'écart du pouvoir
Aux élections locales de 1953, le RPF perd la moitié de ses suffrages. Il entre alors en hibernation. Les élus gaullistes participeront encore avec le PCF à l'échec de la Communauté européenne de défense (CED) en 1954, avant la mise en sommeil définitive du RPF le 13 septembre 1955.
À la suite de la défaite électorale de son parti, le général de Gaulle se retire à Colombey-les-Deux-Églises et rédige ses Mémoires de guerre. Pour certains observateurs, ce sont les cinq années qui suivent qui constituent sa « traversée du désert » proprement dite (voir ci-dessus).
Retour au pouvoir en 1958
Articles détaillés : Crise de mai 1958 et Communauté selon la Constitution de 1958.
L'instabilité ministérielle, l'impuissance de la IVe République face à la question algérienne, déclenchée par une insurrection le 1er novembre 1954, conduisent le régime à une crise grave. Des responsables politiques de tous bords en viennent à souhaiter le retour du Général.
Le 13 mai 1958, un comité de vigilance appelle à manifester contre le FLN à Alger. Un comité de salut public est créé, à la tête duquel se trouve le général Massu, et dont fait aussi partie le général Salan. Ce dernier poussé par Léon Delbecque, lance son appel au retour du général de Gaulle « vive de Gaulle » du haut du Gouvernement général, devant la foule le 15 mai. L'insurrection prend de l'ampleur et risque de dégénérer en guerre civile. Le 19, le Général se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République92 ». Certains voient dans cette déclaration un soutien à l'armée et s'inquiètent. Il rassure et insiste sur la nécessité de l'union nationale et s'il se présente encore comme le recours, il ne donne officiellement aucune caution ni à l'armée ni à quiconque. Néanmoins, un plan d'action militaire, baptisé « Résurrection », a déjà été mis en place en cas d'échec des négociations politiques.
Le 29 mai, le président de la République, René Coty, fait appel au « plus illustre des Français ». Charles de Gaulle accepte de for