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l’occurrence, il ne sera guère question des pressions qu’eurent à subir dans leur vie publique ou privée les nombreux auteurs concernés – la tâche, hélas, serait fort longue. Toutefois, quelques articles emblématiques, sur Gide, par exemple, ou sur Violette Leduc, tenteront de traiter cet aspect du sujet. Mais il s’agira plutôt dans cette contribution de réfléchir aux œuvres proprement dites afin d’analyser les moyens littéraires du discours homophobe.De fait, la logique homophobe dans les œuvres opère à deux niveaux distincts. Elle se manifeste :
dans le travail des auteurs qui prétendent dans leurs ouvrages démasquer l’homosexualité afin de mieux la dénoncer, conformément à leur morale ;

dans le travail des commentateurs qui tentent de masquer l’homosexualité dans les textes, lorsque sa libre expression leur semble incompatible avec cette morale.Ainsi, cette logique consiste, pour les auteurs, à produire un discours contre l’homosexualité, alors que pour les commentateurs, il s’agit au contraire de réduire une œuvre qui risquerait de lui faire la part trop belle. Production discursive d’un côté, réduction de l’autre : de fait, les dispositifs mis en place fonctionnent selon des procédés bien souvent opposés, mais tout à fait complémentaires, et ce sont en somme autant de manières d’écrire, de lire, ou de ne pas lire l’homosexualité dans les œuvres. C’est dire, par conséquent, qu’il existe une poétique homophobe, à laquelle répond en quelque sorte une homophobie philologique, qui contribuent toutes deux à assigner à l’homosexualité un espace littéraire prédéterminé.De la poétique homophobe...Cette poétique du discours homophobe, au fil des siècles, a su ajuster ses moyens littéraires à ses objectifs idéologiques. Dans cette intention, elle a souvent sollicité le genre satirique pour donner plus de mordant et de vigueur à ses attaques et à ses pointes. D’une manière générale, il s’agit de jeter l’opprobre sur quelqu’un en lui imputant des mœurs jugées infâmes. Les ressources ordinaires de la satire homophobe, quoique peu variées, sont particulièrement efficaces. Le portrait, son arme privilégiée, vise à la charge : il force le trait en général pour dessiner un archétype, ou s’arrête aux petits détails qui se veulent révélateurs, à l’instar des caricatures nombreuses qui prirent pour cible en leur temps Jean Lorrain, Pierre Loti, ou Robert de Montesquiou.L’homosexualité est ainsi peinte sous les traits de l’homme efféminé ou de la femme hommasse. Le ton, volontiers jovial, donne une apparence de légèreté à des propos souvent haineux. La satire est donc le soi-disant miroir de vérité qui permet la mise à mort symbolique et joyeuse des personnes stigmatisées.C’est ainsi qu’Henri III fut fustigé par de nombreux poètes, Ronsard entre autres, et par Agrippa d’Aubigné, qui lui consacre de nombreux vers des
Tragiques, où il évoque
« le geste efféminé, l’œil de Sardanapale (…)Tel qu’au premier abord, chacun était en peineS’il voyait un ou Roi femme ou bien un homme reine ».Pareillement, au siècle suivant, Mazarin devint la cible favorite des satires où il se vit reproché un vice plus horrible que tous les autres, un vice que Scarron, dans sa très fameuse
Mazarinade, n’hésite pas à claironner sur tous les toits, à décliner sous toutes les formes. Mazarin serait ainsi :
« Sergent à verge de sodomeExploitant partout le royaume,Bougre bougrant, bougre bougréEt bougre au suprême degré,Bougre au poil et bougre à la plume,Bougre en grand et petit volume,Bougre sodomisant l’ÉtatEt bougre du plus haut Karat... »Au-delà de l’homosexualité réelle ou supposée des adversaires désignés, la satire sexuelle permet d’éreinter ou d’abattre un individu quel qu’il soit, et constitue, de même que l’injure homophobe, une ressource universelle, toujours utilisable, en toutes circonstances.Or, cette veine satirique et ce goût pour la caricature se maintiennent largement tout au long du vingtième siècle. dans ce genre très vivace qu’est le théâtre de boulevard. Pas une comédie qui ne fasse apparaître, à un moment ou à un autre, une « folle perdue », ou un jeune homme « un peu comme ça ». En effet, l’homosexuel (l’homme homosexuel, car la lesbienne n’apparaît guère dans ces pièces) est toujours présent, tout en étant d’ordinaire cantonné à un rôle secondaire. Il occupe une fonction déterminée : ce n’est pas seulement l’amuseur de service, comme le Sot du théâtre médiéval, ou l’Arlequin de la
commedia dell’arte.Au-delà du rire suscité, ce personnage est un fait une figure profondément angoissante, et c’est cette angoisse qu’il s’agit d’exorciser en riant à gorge déployée. La Folle est tout à fait reconnaissable à ses manières, ses cris aigus, son poignet cassé, ses vêtements colorés et excentriques : le stéréotype social devient type théâtral, à moins que ce ne soit l’inverse. Bien que l’histoire littéraire et les élites culturelles accordent peu d’importance à ces pièces, elles n’en constituent pas moins un élément décisif au sein des représentations populaires. Pour les spectateurs nombreux qui les ont vues, elles ont constitué souvent la seule image disponible permettant de construire un imaginaire social.Dans ces conditions, l’homosexualité apparaît nécessairement comme une réalité cocasse mais navrante, une réalité troublante et familière, cette inquiétante étrangeté dont témoigne de manière emblématique la pièce de Jean Cau en 1972, un grand classique du répertoire maintes fois illustré par Jean Lefebvre, où le héros apprend qu’il est cocu et, comble de misère, que son fils « en est « , le « mal « étant répandu à travers tout le pays. Vraiment, rien ne va plus, ce qui justifie le titre :
Pauvre France.